Nous avons pu voir lors de cette étude que les ascendants de Jean MARNAS et Marie Charlotte PERRET sont des cultivateurs, laboureurs ou marchands, propriétaires de leurs terres ou de leur maison pour la plupart, excepté pour notre couple qui n'est pas propriétaire des murs de la boulangerie où ils travaillent.
Ils ont créé une famille composée de 10 enfants, et lors de mes recherches, la destinée de l'un d'entre eux s'est détachée particulièrement.
Il s'agit de l'aîné du couple, Jean Aimé MARNAS.
A partir de maintenant, Jean Aimé devient le personnage principal de mes articles.
Pour retracer sa vie, j'ai eu la chance de découvrir un article à son sujet dans la revue Rive Gauche, disponible dans la bibliothèque des archives municipales de Lyon. J'ai retrouvé aussi sa biographie écrite par M. GODINOT dans une publication de la Société d'agriculture dont il a été membre. Pour finir, j'ai retrouvé son dossier individuel de légionnaire dans des documents de la Préfecture du Rhône.
Le Jardin des Plantes - photographie BASSET/SEM - 38PH/191 - AM Lyon |
L'enfance de Jean Aimé
Il est né le 20 juillet 1828 à Lyon, rue des Fargues, dans la boulangerie de ses parents (ici). Son père le déclare avec les prénoms Jean Aimé, prénoms qu'il utilisera toute sa vie.
Bien que né à Lyon, il gardera des liens étroits avec le village de Thurins. En effet, dans sa notice biographique, GODINOT écrit " qu'à l'âge de 8 ans, il a sauvé son grand-père paternel vieux et infirme, tombé dans l'âtre d'une grande cheminée."
Il grandit dans le quartier du jardin des plantes avec ses nombreux frères et soeurs.
Voici ce que raconte l'article de Rive Gauche au sujet de son enfance : "Après avoir fréquenté l'école primaire de son quartier, il est entré, à douze ans, à l'Ecole de la Martinière, fondée par le legs du major Martin sept ans auparavant. Dès la 2e année, il se spécialisait en chimie et décrochait dès lors ses premiers lauriers."
L'école de la Martinière
J'ai souhaité en savoir plus sur cette prestigieuse école.
Portrait of Major-General Claude Martin (1735-1800) (by Johann Zoffany) Wikipedia |
Voici les informations que j'ai trouvées dans l'inventaire des archives départementales du Rhône, dans les sous-séries 1T et 523W.
"En 1800, Claude Martin (1735-1800), major-général de la Compagnie des Indes, meurt à Lyon en léguant sa fortune à la ville de Lyon, à la charge d'établir une institution pour le bien public. Ainsi, après bien des résistances, l'Ecole populaire ouvre en 1826 au Palais Saint-Pierre. On peut y suivre des cours de mathématiques et de chimie et, à partir de 1929, des cours de dessin. En 1831, l'ordonnance royale règle l'organisation administrative de l'établissement. L'article premier stipule que le legs du major-général Martin sera employé à la fondation "d'une école destinée à l'enseignement gratuit des Sciences et des Arts, dont la connaissance et le perfectionnement peuvent ajouter à la prospérité des Manufactures et des Fabriques Lyonnaises." L'article 2 donne à l'école le nom d'école de la Martinière et en prévoit l'établissement dans les bâtiments de l'ancien cloître des Augustins. Ces nouveaux bâtiments sont inaugurés le 2 décembre 1833. Tout au long de ce XIXe siècle, administrateurs et directeurs perfectionnent les conditions de fonctionnement et les formes pédagogiques de l'établissement. De nouveaux cours sont régulièrement ouverts."
Jean Aimé MARNAS intègre l'école à 12 ans, soit en 1840 environ, 7 ans après l'inauguration des nouveaux bâtiments.
Cour de l'école la Martinière - Ville de Lyon, Archives municipales, Jean Paul Tabey, 80PH/39/66 |
L'enseignement de la Martinière
Voici ce qu'écrit T. LANG, l'un des directeurs de l'école, en 1883 dans un livre intitulé Notice sur l'école la Martinière, pages 35 et 36 : " l'Administration de la Martinière est partie de ce principe que l'enseignement donné à l'Ecole doit avoir pour but, non de préparer les élèves à l'exercice spécial de telle ou telle profession, mais de les rendre aptes à réussir dans une profession quelconque, avec les avantages que donnent une intelligence ouverte, l'habitude du raisonnement scientifique, une instruction relativement large, et surtout cet énorme entraînement au travail, qui est la caractéristique dominante des élèves de la Martinière."
Jean Aimé a certainement travaillé très dur. Jugez vous même :"Les élèves viennent à 7 heures 3/4 en hiver, et à 7 heures 1/4 en été, jusqu'à 11 heures 50, et reviennent l'après-midi de 2 heures 10 à 7 heures, excepté le jeudi, où les cours n'ont lieu que le matin." A raison de 3 cours le matin, et 3 cours l'après-midi, suivis d'une étude surveillée, cela fait 33 cours et 5 études, samedi compris, en 1ère année. "Les élèves de 2e et 3e années ont 3 cours supplémentaires ... Si l'on ajoute à cela les devoirs que les élèves ont à faire chez eux, devoirs qui exigent presque toujours plusieurs heures par soirée, on verra que ces élèves ont une somme de travail extrêmement considérable. Il est à craindre que cette somme de travail ne soit préjudiciable à leur santé"
M. TABAREAU, professeur de mathématiques, a mis au point une méthode en mathématique. Cette méthode est expliquée dans le livre écrit par T. LANG. Ce livre est numérisé sur le site de l'histoire de l'Ecole Centrale de Lyon. Vous pouvez vous y référer, page 39 et 40, pour en connaître les détails. Elle est basée sur l'utilisation de planchettes en bois et d'ardoises. M. TABAREAU, après avoir développé la méthode pour les mathématiques, l'a introduite en cours de chimie. M. DUPASQUIER s'en inspira pour son enseignement.
Ces méthodes innovantes d'enseignement perdurent puisque j'ai trouvé en ligne de nombreux articles expliquant le procédé La Martinière, ou PLM, utilisant l'ardoise en calcul mental.
Détail du monument aux fondateurs de la Martinière, de Charles Textor, Ville de Lyon, Archives municipales, Jean-Paul Tabey, 80PH/30/42 |
Voici ce que j'ai lu dans l'article de Rive Gauche, article qui reprend les écrits de Mélanie MARNAS, l'une des filles de Jean Aimé.
Le professeur DUPASQUIER
"Il (M. DUPASQUIER) faisait son cours, en se promenant dans sa classe, une main dans la poche de derrière de sa redingote. L'enseignement mutuel était alors en grande faveur. Marnas, comme premier de sa classe, était répétiteur, c'est-à-dire qu'il devait bien écouter ce que disait le professeur et le répéter ensuite à ses camarades. Il était aussi préparateur en chimie, c'est-à-dire qu'il aidait le père Dupasquier à préparer ses expériences. Ce poste, d'une certaine manière, ne lui plaisait guère, parce qu'il détestait tout ce qui était manipulation et salissait les doigts ; de l'autre, il l'enchantait parce qu'il le mettait en rapports plus étroits avec M. Dupasquier. Très timide et dès lors très peu liant, ni jouant ni causant avec ses condisciples, il réservait toute son affection pour son vieux professeur, qui, je crois, le lui rendait."
"La vie à la maison était des plus simples et ne pouvait être autre. Une fois par an, on allait en famille dîner sur l'herbe, dans le domaine de la Tête d'Or, c'est tout ce que le père estimait pouvoir se permettre comme distraction. Marnas était frappé de la peine qu'avaient ses parents à élever leur nombreuse famille, et à mesure qu'il grandissait, il cherchait en lui-même comment s'y prendre pour leur venir en aide. C'était un bruit général que les sciences et notamment la chimie allaient révolutionner les anciennes industries. Pourtant, le jeune rêveur n'avait pas l'impression que la chimie lui servirait beaucoup dans la vie. Il l'apprenait aussi pour faire plaisir à M. Dupasquier, mais il n'y trouvait qu'un intérêt médiocre. Il n'en obtint pas moins, en 1842 et 1843, les deux médailles d'argent qui représentaient à la Martinière le premier prix de chimie."
Détail du monument aux fondateurs de la Martinière, de Charles Textor, Ville de Lyon, Archives municipales, Jean-Paul Tabey, 80PH/30/39 |
L'article de rive Gauche nous révèle la suite de cette histoire. M. Nicolas Philibert GUINON, fondateur avec M. CHABAUD d'une usine de teinture en flotte, avait assisté aux examens et repéré le jeune MARNAS. Mélanie rapporte ses propos à M. DUPASQUIER : "Ayez l'oeil sur ce jeune Marnas et ne le laissez pas se placer sans que je le sache. Je veux un chimiste dans mon atelier et j'ai décidé que ce serait lui."
En 1843, à sa sortie de l'école la Martinière, Jean Aimé est placé par son professeur de chimie chez M. GUINON, où il cumule les fonctions de chimiste et d'apprenti teinturier. Il est alors âgé de 15 ans.
Son apprentissage dure plusieurs années pendant lesquelles il s'initie à toutes les opérations par lesquelles doit passer la soie avant d'être envoyée aux fabricants.
Il a 20 ans en 1848. Sa fille explique qu'il a tiré le n° 23 qui l'obligeait à partir pour le service militaire. M. GUINON lui avance l'argent du remplaçant. J'ai pu vérifier dans la liste de tirage de la ville de Lyon de 1848, qu'il avait bien tiré le n°23.
Voici donc quelques mots sur la scolarité de Jean Aimé. Quelle joie de trouver des sources qui décrivent d'aussi près la vie d'une personne étudiée ! Nous allons par la suite découvrir quelle vie trépidante il a vécue.