Maintenant que vous avez fait plus ample connaissance avec Jean Aimé MARNAS au fil des articles du Challenge AZ (depuis la lettre Q), je vais vous dévoiler une autre facette du personnage, Jean Aimé MARNAS, l' industriel lyonnais.
Cet homme a beaucoup contribué, par ses découvertes, à l'essor de l'emploi de matières colorantes artificielles dans la teinture des soies. Il a donc laissé des traces dans les archives lyonnaises, et notamment dans un article paru en décembre 1969 dans la revue Rive Gauche, publiée par la Société d'étude d'histoire de Lyon rive gauche du Rhône. L'article est basé en partie sur des écrits de Mélanie MARNAS, fille de Jean Aimé MARNAS.
Couverture de la revue Rive Gauche, document personnel |
Nous avons vu que M. GUINON embauche le jeune Jean Aimé, tout juste sorti de l'école la Martinière, comme chimiste et apprenti teinturier en 1843. Il a alors 15 ans. Mélanie MARNAS décrit l'industriel comme un "homme d'une rare et frappante distinction, quoique sorti du peuple."
L'apprentissage
Voici le récit de Mélanie "M. Guinon ... vient en personne trouver mes grands-parents dans la boulangerie, et de son air toujours un peu solennel, en les fixant de son regard bleu, d'ordinaire impassible, mais qu'il savait rendre éloquent, leur proposa de prendre leur fils dans son atelier. Il s'en occuperait d'une manière spéciale et se croyait en mesure de lui faire rapidement une situation."
L'usine GUINON et CHABAUD a été fondée en 1831. M. CHABAUD vient de se retirer en 1843, laissant GUINON seul. L'usine se situe à l'angle de la rue de Condé et du cours Bourbon, aujourd'hui angle de la rue Bugeaud et du quai Général Sérail. A l'époque, le bâtiment était entouré de prés, où des moutons paissaient. Le bâtiment est identifié par un rond jaune sur la carte ci-dessous.
Extrait de la carte d'état major de 1834, site IGN |
L'apprentissage durait 2 ans et il était très dur. L'entrée à l'atelier se faisait à 6 heures du matin. Les apprentis commencaient par laver les soies arrivées par le bateau de M. GUINON. Ensuite, ils s'initiaient à toutes les opérations pour colorer la soie. Une fois l'apprentissage terminé, M. GUINON à envoyé Jean Aimé parfaire ses connaissances à l'étranger, mais ce sera l'objet d'un prochain article.
Extrait du livre de J. TURGAN (1865) Les grandes usines de France, tome 4, livraison 73, Paris Michel Lévy frères, page 265 |
Pour ses expériences de chimie, M. GUINON lui avait assigné un coin de l'atelier. Nous verrons dans le prochain article où vont le mener ces expériences.
Jean Aimé contremaître
En 1854, lorsqu'il se marie, Jean Aimé est promu contremaître de l'usine GUINON. Il est aussi intéressé aux bénéfices de la société. Il a alors 26 ans. Cela change considérablement son train de vie.
En 1855, M. GUINON tombe gravement malade, et risque la paralysie. Il délègue une partie de son travail à Jean Aimé, et notamment la visite des fabricants de soie, pas toujours aimables.
J'ai trouvé un article très précieux sur l'usine GUINON, MARNAS et BONNET dans un livre numérisé sur Gallica de J. TURGAN, Les grandes usines de France, tome 4, livraison 73, Paris Michel Lévy, 1865.
Jean Aimé associé
On y apprend qu'en 1856, M. GUINON s'associe avec ses deux contremaîtres, Jean Aimé MARNAS et Jean François BONNET. Il s'agit du Jean François BONNET témoin au contrat de mariage et au mariage civil de Jean Aimé.
On peut lire dans le livre, page 258, que M. MARNAS "chimiste distingué, chargé déjà de recherches de laboratoire, a continué de s'en occuper et à beaucoup contribué aux progrès qui se sont successivement réalisés dans la maison".
J'ai trouvé beaucoup d'informations lors de mes recherches dans les archives du tribunal de commerce de Lyon, en série 6 Up des ADRML. J'y ai trouvé notamment l'acte sous seing privé de la création de cette nouvelle société. La société a pour objet la teinture des soies en couleur et en noir. Elle est contractée pour 5 ans. Les associés ont la signature sociale. Le siège est à Lyon, au 2 rue de Condé. Jean Aimé a 28 ans. M. BONNET a 10 ans de plus, et M. GUINON encore 10 ans de plus.
Mélanie raconte que la première initiative de Jean Aimé en tant que patron " fut de proposer que la maison ne travaillât plus le dimanche. Il trouvait que ce serait plus humain pour les ouvriers et plus avantageux pour la maison, étant impossible que des hommes ne prenant jamais de repos, produissent du bon travail. "
En 1857, le jeune associé achète pour 65 000 francs, en indivision avec son associé M. BONNET (2/3 pour lui, 1/3 pour son associé), un atelier de chaudronnerie composé d'une maison et de constructions situé au n° 28 rue Monsieur, qui jouxte la propriété de M. GUINON. Ils font construire une maison à deux étages à la place de l'atelier de chaudronnerie pour installer leur famille.
Extrait de l'annuaire administratif et commercial de Lyon et du département du Rhône, volume 132, page 151, 1858, AM Lyon (on y trouve le père boulanger et le fils teinturier) |
A la même époque, les associés ouvrent à l'Ile des Comtes, sur les bords du Rhône, une fabrique de produits chimiques située hors de la ville servant à la préparation des matières nécessaires à leurs inventions à l'abri des regards indiscrets.
En 1861, un immense incendie éclate dans cette usine qui au bout de quelques heures, est complètement consumée. On lit dans la presse que les pertes s'élèveraient à 300 000 francs, mais couvertes par des assurances.
Journal des débats politiques et littéraires, 19/08/1861 |
De 1861 à 1876, les bonnes et mauvaises périodes s'enchaînent. Lorsque des grèves ne viennent pas compromettre le marché du travail, la société occupe de 500 à 650 personnes, et teint de 300 à 400 000 kilos de soie par an. Elle travaille pour la France, Alger, Bruxelles, Londres, Zurich, Vienne, Côme, Moscou ...
Jean Aimé MARNAS achète en 1872 plusieurs parcelles de terrain quai des Brotteaux. Il achète aussi en 1878 une propriété sur la commune de Villeurbanne, aux Charpennes.
M. GUINON se retire de la société en 1881, et une nouvelle société est créée au capital de 1 000 000 francs : MARNAS, BONNET et fils. Il s'agit des fils de chacun d'eux.
Les associés décident, à cette époque, de déménager l'usine des Brotteaux pour l'installer à Villeurbanne, certainement sur la propriété achetée en 1878.
En 1884, son fils Francisque décide d'entrer dans les ordres, et la même année, Jean Aimé perd l'un de ses fils, Jean Aimé François Antoine Marie. C'est aussi l'année du décès de M. GUINON. En 1885, son associé M. BONNET et lui-même apportent leur fonds de teinturerie à une nouvelle société. Il se retire de la gérance, mais prévoie une possibilité d'association pour son autre fils Charles Jean Antoine. Cette société en nom collectif est créée avec un autre fonds de teinturerie, celui de RAMEL, SAVIGNY et GIRAUD. Il loue à cette nouvelle société, BONNET, RAMEL, SAVIGNY, GIRAUD et Cie, son immeuble industriel de Villeurbanne.
Annexe au bail de l'immeuble de Villeurbanne, minutes de 1885, Me LAVIROTTE, 3E 28779, AD 69 |
Cette usine existera jusqu'en 1900 à Villeurbanne.
Voici l'histoire de Jean Aimé MARNAS, jeune apprenti teinturier en 1843, qui deviendra l'un des teinturiers les plus talentueux de Lyon, et propriétaire d'une très grosse usine rive gauche du Rhône.
Tu as trouvé beaucoup d'informations, c'est super ! Je n'ai jamais consulté les archives du tribunal de commerce de Lyon, c'est un source à exploiter.
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