Lors de mes recherches pour mon mémoire universitaire de généalogiste, j'ai eu la chance de découvrir un personnage qui a laissé beaucoup de traces dans les documents archivés à Lyon, et ailleurs.
Jean Aimé MARNAS, nous l'avons vu dans l'article précédent, a vécu une ascension fulgurante dans le monde très fermé des teinturiers lyonnais du XIXe siècle.
Fils de boulanger, et petit-fils de paysans et de marchands dans un petit village des Monts du Lyonnais, comment a-t-il pu progresser aussi vite ?
Il a passé 3 ans à l'école de la Martinière, et nous l'avons vu dans l'article "quotidien scolaire", ces années étaient très difficiles, de l'aveu même du directeur.
Il est entré ensuite au service de M. GUINON, industriel de renom, pour se former à la teinture des soies, et continuer ses recherches en chimie.
Les débuts prometteurs
Sa carrière d'inventeur commence très tôt, dès 1847. Mélanie MARNAS, sa fille, écrit qu'il a participé à l'application de " l'acide picrique* à la teinture des jaunes. En 1849, il appliquait le cachou aux couleurs brunes craquantes et inaugurait le décrustage de la soie de Tussah* par la soude caustique."
Exposition industrielle de 1849 aux Champs-Elysées, graveur anonyme, JJ Champin dessinateur, éditeur anonyme, Musée Carnavalet |
Suite à ces découvertes, il est choisi par la Chambre de Commerce de Lyon en 1849 pour représenter la teinture de la ville de Lyon à l'Exposition de Paris. Il a alors 21 ans.
J'ai retrouvé l'extrait du rapport du jury central sur les produits exposés en 1849 à Paris. Il obtient sa première récompense, une médaille de bronze.
Extrait du rapport du jury central sur les produits de l'agriculture et de l'industrie exposés en 1849 à Paris, source gallica.bnf.fr / BnF |
En 1851, la Chambre de Commerce le délègue à l'Exposition universelle de Londres. Ils sont 10, dont 2 teinturiers, chargés d'étudier tous les produits exposés ayant un lien avec leur branche. Il s'agit de la première Exposition universelle mondiale.
Toujours d'après Mélanie, ces expositions ont permis à son père de croiser des personnes très compétentes, et d'élargir ses connaissances scientifiques en teinture, mais aussi dans le mouvement industriel en général.
Il participe, en 1855, à la première Exposition universelle en France à Paris, la seconde au monde. M. GUINON obtient la grande médaille d'honneur, Jean Aimé MARNAS obtient la médaille de 1ère classe.
Inauguration de l'exposition universelle de 1855 à Paris par Napoléon III dans le Palais de l'Industrie, lithographie colorée de Louis-Jules Arnout, Wikipedia |
Les avancées techniques majeures
En 1857, il fait une découverte majeure, la pourpre française. Voici ce qu'en dit Mélanie MARNAS.
Jean Aimé MARNAS avait remarqué que " l'orseille* des Anglais avait beaucoup d'éclat. Il l'avait beaucoup considérée et s'était persuadé qu'il ne serait pas impossible d'en retirer la matière colorante. Il n'y arriva pas du premier coup, mais enfin en 1857, après beaucoup d'essais, il y arriva. Cette matière colorante donna le premier violet solide qui ait été à la portée de tout le monde.
Il faut savoir que le violet était une couleur à part. Seuls avaient pu le porter jusque là dans leurs vêtements, les rois et les gens puissamment riches. Les teinturiers l'obtenaient en broyant certains animalcules* qu'il fallait chercher très loin et dont le nombre était limité, de sorte qu'un mètre de tissu teint en violet solide revenait plus cher que son pesant d'or. Le violet courant, celui que pouvait acheter le public, durait, comme on disait, un déjeuner. Il suffisait pour le détruire et le rendre beige, d'un rayon de soleil ou d'une goutte d'acide. Produire un violet qui, sans être hors de prix, résistât à la lumière et aux acides était, depuis des siècles, l'objectif de tous les teinturiers. Le mérite de Jean Aimé MARNAS fut d'y être arrivé le premier.
La maison GUINON, MARNAS et BONNET appela ce violet du nom de pourpre française et l'apparition de cette pourpre, qui pouvait s'obtenir dans tous les tons et à toutes les gammes de violet fut un événement dans le monde de la soirie."
Cette découverte a donné lieu à différents procès relatés dans l'article sur la lettre T.
Elle fut surtout la source de la fortune de Jean Aimé MARNAS. En effet, en 1861, il achète le château du village de Thurins, symbole d'une réussite exemplaire. Il a alors 33 ans.
Comme le dit Mélanie MARNAS "Les résultats au point de vue financier avaient été excellents. La pourpre française se vendait le prix qu'on voulait."
Un inventeur infatigable
La maison GUINON, MARNAS et BONNET a déposé toute une série de brevets que j'ai retrouvés sur le site des archives de l'INPI.
Brevet d'invention 36029 du 31/03/1858, Pourpre française, site archives.inpi.fr |
Il s'ensuit, en 1859, un brevet pour améliorer les teintures des soies noires puis, en 1862, un brevet pour un colorant bleu et un rouge.
La maison GUINON, MARNAS et BONNET a été médaillée à toutes les expositions de Paris (1849, 1855, 1867), de Londres (1851 et 1862) et de Vienne (1873).
Exposition de Londres, liste des exposants récompensés, L'opinion nationale, 16/07/1862, page 2 |
Récompense ultime, Jean Aimé MARNAS est fait chevalier de la légion d'honneur en octobre 1878, décoré pour ses services rendus à l'industrie, lors de l'Exposition universelle de Paris de 1878, recevant la croix de M. GUINON.
La Gazette de France, 25/10/1878, pages 2 et 3 |
La société créée avec les MARNAS et BONNET pères et fils dépose encore quelques brevets en 1881 et 1882.
Une fois retiré des affaires de Lyon et installé à Thurins, il s'intéresse à l'agriculture. Il fonde un observatoire météorologique à Thurins.
Il s'intéresse particulièrement à la crise phylloxérique, cherchant un remède pour les vignes malades.
Je vous ai présenté le teinturier chimiste inventeur d'exception que fut Jean Aimé MARNAS.
Nous découvrirons dans le prochain article un autre aspect de sa vie.
* Acide picrique : composé chimique , très explosif
* Tussah : chenille originaire de Chine, élevée en semi captivité, produisant un fil servant à tisser de la soie Tussah
* Orseille : lichen dont on extrait une substance colorante de couleur pourpre
* Animalcules : organismes microscopiques
Et ses inventions l'ont fait voyager d'expositions en expositions .
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