vendredi 29 novembre 2024

Z comme Zénith de la carrière de Jean Aimé

Voici le dernier article du Challenge AZ, celui de la lettre Z.

J'ai souhaité finir cette histoire de famille par un résumé de la carrière politique et  des honneurs reçus par le personnage principal de cette étude, Jean Aimé MARNAS.

Je vais donner la parole à sa fille Mélanie MARNAS, pour nous présenter son père.

Portrait de Jean Aimé MARNAS, Rive Gauche, décembre 1969, AM Lyon 

Voici le portrait que Mélanie MARNAS a dressé de son père. "Il était à cinquante ans un homme d'une belle prestance. Après avoir été extrêmement mince, il avait grossi de bonne heure et il le portait bien, étant grand et solidement bâti. Ses cheveux commençaient à grisonner, mais ils étaient restés abondants. Il les portait toujours coupés à la nuque, bien que l'usage fut alors de les porter en brosse. Il portait la moustache et une barbe arrondie autour du menton. Sa moustache et sa barbe frisaient naturellement. Il avait les joues lisses, au point de ne pas avoir eu pendant longtemps besoin de les raser. Son visage était plein et son teint beaucoup plus clair à cinquante ans qu'il ne l'avait été dans sa jeunesse. Son expression aussi était plus épanouie, sa voix était ferme et bien timbrée."

Un maire engagé pour sa commune

En 1861, alors qu'il vient d'acheter le château de Thurins, il est nommé maire de la commune par le Préfet. Il démissionne en 1870.

En 1873, sur l'initiative du Préfet, il est nommé à la commission municipale de Lyon, qui dépendait de la Préfecture et non pas de la Mairie. Elle avait pour mission de remettre en ordre les finances de la ville.

Au service de l'industrie Lyonnaise

En 1874, il remplace le comte de Ruolz à la commission qui administrait l'Ecole la Martinière, où il a étudié plus jeune.

Il faisait partie de nombreuses sociétés : société des amis des sciences, société d'agriculture, sciences et arts utiles, société de géographie, société de chimie, société linéenne, société des amis de l'enfance, etc...

Mélanie affirme que son père "n'était d'aucun parti. Tout gouvernement lui paraissait bon s'il assurait la paix aux braves gens et s'il tenait en ordre les affaires du pays ...

Les honneurs d'une vie

En 1878, il est décoré de la Légion d'honneur ... Cette récompense doit avoir été demandée par le futur chevalier. Lui n'avait jamais voulu en entendre parler. Il ne sut que bien plus tard que les démarches avaient été faites pour lui par un chimiste de Paris. Cependant, il ne fut pas décoré comme chimiste, mais pour services rendus à l'industrie et sa participation à la précédente exposition de Paris.

M. Guinon fut son parrain. La réception n'eut rien de solennel. M. Guinon vint un soir dîner à la maison. Au salon, après le café, il se leva et lut à mon père un petit discours, dont, malheureusement il ne lui donna pas copie. Puis il épingla la croix.

Les honneurs commençaient à venir à celui qui les avait si peu cherchés.

Il fut nommé Président de la Société d'Agriculture, sciences et Arts Utiles.

Puis, en 1882, membre de la Chambre de commerce de Lyon ... Il y présenta un rapport très important sur le pont Morand que la ville s'apprêtait à reconstruire, un autre sur l'intérêt que présentaient pour l'industrie lyonnaise certains produits tinstoraux venus du Tonkin. Il s'occupa surtout du laboratoire des Etudes de la Soie, dont, à peine entré à la Chambre de commerce, il avait été nommé Président ...

En 1885, Jean Marnas fut porté à la députation. Il n'avait aucun goût pour la politique, mais le parti conservateur manquait d'hommes. Ce parti l'avait inscrit sur sa liste sans le consulter et l'y maintint malgré lui. Cette liste ne passa pas, mais elle avait rallié plus de suffrages qu'on ne l'avait espéré. Jean MARNAS avait obtenu pour son compte 14 225 voix.

Il a travaillé 40 ans et perfectionné le métier dans lequel il était entré, au point qu'on a pu écrire que le magnifique développement de l'industrie de la teinture de la soie était dû pour une bonne part à ses travaux et à ses découvertes. Après avoir vaillamment lutté, il a laissé sur la place de Lyon une réputation sans tâche et un nom honoré.

Il avait peu reçu, il a beaucoup donné. Il a été un homme remarquable par son intelligence et son caractère.

Un héritage qui perdure

Sans avoir amassé une grande fortune, car il a recueilli au cours de sa carrière beaucoup plus de considération que d'argent, il nous a laissé dans une situation à tous points de vue bien supérieure à celle dans laquelle il était né. Beaucoup de ce dont nous jouissons vient encore de lui. C'est pourquoi il m'a paru juste que son souvenir ne s'éteigne pas parmi ses descendants et, si j'ai écrit ses pages, c'est dans l'espoir que son nom sera quelquefois, par eux, honoré et béni ..."

J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire l'histoire de cette famille très attachante. J'ai découvert tout un pan de l'histoire de Lyon et de son industrie au XIXe siècle. Les personnages sont facinants. J'espère avoir répondu au souhait de Mélanie MARNAS de raviver le souvenir de son père Jean Aimé MARNAS, grand novateur de l'industrie de la teinture au XIXe siècle.



Y comme XY les fils de Jean Aimé

Y comme XY, pour évoquer cette fois les chromosomes masculins, symbole des fils de Jean Aimé MARNAS.

Pour suivre la présentation de la vie familiale de Jean Aimé MARNAS, je vais maintenant mettre en lumière ses garçons.


Des 11 enfants qu'il a eu avec son épouse Marie REVELIN, 7 sont des garçons. Je vais vous présenter ceux qui ont atteint l'âge adulte.

Francisque MARNAS (1859 - 1932), l'évêque de Clermont

Jean François Etienne est le fils aîné du couple, après le décès, en 1856, à l'âge de 10 mois, de Jean Aimé Marie.

Nous avons évoqué son nom dans l'article consacré aux usines MARNAS.

Francisque va mener en religion une carrière tout aussi intéressante que celle de son père dans les affaires. Il a d'ailleurs sa page Wikipedia.

J'ai découvert beaucoup d'informations sur cette carrière dans la presse.

Mémorial de la Loire et la Haute-Loire, 23/03/1921, page 2

Il est noté dans l'article qu'il a fait de brillantes études à l'institution des Chartreux, toujours présente à Lyon, qui va fêté son bicentenaire en 2025. 

Nous découvrons dans sa fiche matricule de la classe 1879 qu'il est étudiant, avec un degré d'instruction 5, le plus élevé (bachelier ou licencié en droit). Il est engagé conditionnel pour un an, maréchal des logis, et obtient la mention très bien.

En 1885, il continue des études spéciales pour être ecclésiastique. Il est dégagé de ses obligations militaires en 1887, étant entré dans les ordres majeurs. C'est l'époque à laquelle son père, Jean Aimé MARNAS, se retire de la gérance de ses affaires. Son prénom d'usage est Francisque.

D'après le même article, il suit ses études de théologie à Rome, d'où il revient docteur en théologie et licencié en droit canon. Il est ordonné prêtre en décembre 1888 par l'Archevêque de Lyon.

Lui aussi, comme son père Jean Aimé et ses soeurs Mélanie et Marie, a des envies de voyages. Il part en mission apostolique au Japon. Il écrit, en 1896, un livre en 2 volumes, 1200 pages, sur La religion de Jésus ressucitée au Japon

Dans un article publié dans le Roussilon le 15/04/1897, le journaliste nous révèle que Francisque "a fait trois fois en l'espace de six ans le voyage de France au Japon, où l'avaient appelé ses affaires, d'importants établissements industriels à surveiller. Il y était allé pour assoir une forturne déjà faite. Dieu lui avait révélé, à côté des manufactures, des églises et des chrétientés naissantes, et subitement, obéissant à un appel d'en haut, il avait délaissé les premières pour les secondes, l'or pour les âmes."

Il aurait donc commencé ses voyages au Japon lorsqu'il travaillait pour son père, ce qui lui aurait donné sa vocation religieuse. C'est une hypothès, bien sûr.

Je lis aussi qu'il a pu visiter les Etats-Unis, voyage que souhaitait faire son père dans sa jeunesse.

De retour du Japon, en 1897, il fonde la paroisse Notre Dame de Bellecombe dans son quartier de naissance, les Brotteaux, quartier dont il connaît bien les habitants.

En 1908, au décès de ses parents, il est vicaire général du diocèse de Lyon. Puis il est consacré évêque le 30 avril 1919 dans la cathédrale Saint Jean par le cardinal Maurin, archevêque de Lyon. Il devient le 99e évêque de Clermont le 19 mars 1921.

Monseigneur MARNAS, Otto et Pirou, 1932, archives de l'Institut catholique de Paris, 1_I_1.012

Il décède dans la nuit du 12 au 13 octobre 1932, après avoir passé quelques jours auprès de sa famille à Thurins. J'ai trouvé dans la Semaine religieuse de Clermont du 22/10/1932, le récit très détaillé de son décès par Mgr SEMBEL, dans une lettre adressée au clergé et aux fidèles du diocèse. 

Son monument commémoratif se trouve dans la cathédrale, dans la chapelle du tombeau des évêques.

Charles MARNAS (1861 - 1930), l'héritier des affaires

Charles Jean Antoine est le second fils de Jean Aimé. Sa fiche matricule nous apprend plusieurs informations à son sujet. Il est engagé volontaire pour un an en 1880 et sera nommé lieutenant de réserve.

Cette fiche nous renseigne aussi sur ses voyages. Lui aussi aime découvrir le monde. Il effectue des déplacements en Algérie et en Italie en 1887. Il se fixe un temps à New-York, en 1903, et se rend en 1904 à Côme pour la société Gillet.

Il épouse Anna RICHARD en 1887 à Lyon. Son contrat de mariage m'apprend que Jean Aimé MARNAS, son père, lui réserve une place dans la société CONNET, RAMEL, SAVIGNY, GIRAUD et Cie créée en 1885. Charles, par cet acte, est institué héritier des affaires de son père.  D'ailleurs, son nom est ajouté à la raison sociale de la société.

La société est absorbée par la suite par la société Gillet. Charles a probablement travaillé pour eux, puisque ce nom est indiqué sur sa fiche matricule à l'occasion de ses voyages à Côme en italie.

Il décède en 1930 à son domicile rue Garibaldi à Lyon, laissant une fille unique, Zoé.

Benoit MARNAS (1864 - 1914), le héros de la Grande Guerre

Benoit Antoine Marie est le militaire de la famille. Il s'engage volontairement en 1885 pour 5 ans à l'école spéciale de Saint-Cyr. Il progresse dans la hiérarchie militaire pour devenir capitaine en 1899.

Il épouse à Gap en 1889 Hélène PEYROT avec qui il aura 4 enfants.

Il est nommé Chevalier de la Légion d'honneur, au même grade que son père, en juillet 1911.

Il décède le 14 août 1914 à Goincourt, tué à l'ennemi.

Jean MARNAS (1873 - 1964), le parisien

J'ai retrouvé la fiche matricule de Jean Charles Marie Nicolas dans les registres du 1er bureau de Paris. 

Comme ses frères et soeurs, il voyage et on trouve sur sa fiche une résidence en Egypte en 1904.

Il participe à la Guerre et est nommé maréchal des logis en 1918. 

Il se retire à Paris en 1919.

Il se marie tard, en 1925 à Lyon, avec Marie ROCHER. Il a alors 52 ans, et est directeur d'usine. Son frère Charles est présent au mariage. Je ne lui ai pas trouvé d'enfants.

Il décède à Lyon en 1964.

Les fils de Jean Aimé MARNAS ont suivi des trajectoires variées, mais tous ont été guidés par un esprit d'ambition et de service. Qu'ils aient oeuvré dans les affaires, la religion ou les armes, chacun d'eux a laissé une empreinte forte, à son échelle. Ce dynamisme, cette curiosité pour le monde, sont des traits que l'on retrouve dans la personnalité de leur père.

Dans le prochain et dernier article, nous découvrirons d'ailleurs les distinctions que Jean Aimé a obtenues au cours de sa vie, et qui, à bien des égards, symbolisent ce qu'il a transmis à ses enfants.


jeudi 28 novembre 2024

X comme XX, les filles de Jean Aimé

X comme XX, pour évoquer les chromosomes féminins, symbole des filles de Jean Aimé MARNAS.

Dans cet article, je continue d'explorer l'histoire de la famille MARNAS, et plus particulièrement celle de ses filles. Entre voyages, écrits religieux et vie de famille, chacune d'elles a laissé une empreinte unique dans la vie familiale.




En effet, avec son épouse Marie REVELIN, il aura 11 enfants, dont 4 filles. 

Leur vie me laisse penser que les filles de Jean Aimé étaient très instruites et curieuses de découvrir le monde. C'est pour moi l'un des grands changements entre cette génération et les précédentes.

Mélanie MARNAS (1860 - 1950), l'écrivaine

Mélanie Marie Antoinette est la fille aînée de la famille, après le décès de sa grande soeur Charlotte à 11 mois.

Je vous ai déjà parlé de Mélanie, puisque c'était l'écrivaine de la famille. Elle a écrit l'histoire de son père Jean Aimé pour l'un de ses neveux. Je vous ai rapporté au cours de cette série d'articles plusieurs extraits de ce portrait.

La vie de Miriam

Fervente catholique, elle est aussi connue pour avoir écrit un livre sur la vie de Miriam - essai pour recadrer dans leur cadre historique , les seize premières années de la Sainte Vierge (1913). Ce livre est toujours en vente en ligne. Je l'ai même trouvé traduit en anglais.

Je suppose qu'elle lisait plusieurs langues, car elle dit s'être appuyée sur des documents anciens arabes et juifs.



J'ai d'ailleurs découvert une critique complète de son livre publiée sur Gallica : Etudes, publiées par des Pères de la Compagnie de Jésus en 1914. 

Le livre compte plus de 600 pages. Pour le rédiger, Mélanie a parcouru la Galilée, la Judée, l'Egypte. Elle a compulsé la Mishna et le Talmud. Voici le récit de cette expérience, page 700.

" Jamais ces livres, les plus arides - on a dit les plus repoussants - qui aient jamais été écrits, n'avaient charmé sans doute à ce point un lecteur. A mesure que je les parcourais, je voyais le portrait de la Sainte Vierge se dessiner devant mon imagination en traits à la fois nouveaux et saisissants."

J'ai lu une autre critique, moins positive que la précédente. Cependant, l'auteur souligne le grand travail et la patience méritoire de Mlle MARNAS, telle qu'on l'appelait à l'époque. 

J'ai noté aussi que le livre plaisait, puisqu'en 1930, il était réédité pour la 3e fois. Les critiques soulignent régulièrement la piété et la foi de l'écrivaine.

Notre bon Thurins

Elle est aussi très connue à Thurins pour un livre publié à Lyon en 1943, Notre bon Thurins, essai pour retrouver et faire revivre les quelques traces restées visibles de l'histoire de Thurins à travers les âges.

"Je dédie ce livre à mes compatriotes et spécialement à ceux dont les noms de famille apparaissent au XVIe siècle dans le registre paroissial, ce qui prouve que, dès ces temps reculés, leurs ancêtres, comme les miens, habitaient déjà nos montagnes."

Elle retrace l'histoire du village par celle de ses curés, et évoque les anecdotes laissées dans les registres du village. Elle fait de la généalogie telle que nous pourrions la faire aujourd'hui, et même si j'ai trouvé quelques différences avec certaines de ces dates, elle évoque dans ce livre des informations qu'elle a certainement lues dans les papiers de sa famille et qui sont aujourd'hui inaccessibles, ce qui est très intéressant.

Elle est restée très attachée au village de ses grands-parents, suffisamment pour s'y faire inhumer. 

Monument funéraire de la famille MARNAS à Thurins, Geneanet

Marguerite MARNAS (1863 - 1945), la seule mariée

Marguerite est la seule fille du couple qui va se marier. Elle épouse, en 1884 à Lyon, le docteur Charles REBOUL. L'une de ses filles, Hélène, épousera Claude CONFAVREUX. Ce sont ses descendants qui habitent le château de Thurins aujourd'hui.

Monument funéraire de la famille MARNAS à Thurins, Geneanet


Marie MARNAS (1877 - 1955), la missionnaire

Marie Antoinette est le dernier enfant du couple. J'ai trouvé très peu d'information à son sujet, ni mariage, ni enfants. Je n'ai pas demandé son acte de décès, qui n'était pas nécessaire pour mon mémoire.

Mais j'ai trouvé quelques pistes que je partage avec vous.

Un des fils de Jean Aimé est devenu lui aussi très célèbre. Lors de son sacre en 1919 (à découvrir dans le prochain article), ses soeurs sont présentes et citées : Mélanie MARNAS, Mme REBOUL née MARNAS et leur soeur, assistante de la Supérieure des Religieuses missionaires de l'Océanie. Il s'agit de Marie MARNAS.n

Les missionnaires de la société de Marie sont installées à Sainte-Foy-les-Lyon, là où est décédée Marie en 1955. C'est une autre piste. Elles sont Maristes et portent le nom de Marie. Elles sont placées sous l'autorité et la juridiction des Vicaires Apostoliques d'Océanie.

J'ai trouvé plusieurs soeurs Marie de la Merci qui pourraient correspondre, mais sans certitude.

La foi de Mélanie, la fille aînée de la famille, a certainement influencé ses autres soeurs, et notamment la vocation religieuse de Marie.

Les filles de Jean Aimé

En retraçant la vie de Mélanie, Marguerite et Marie, je découvre non seulement des parcours riches et variés, mais aussi des valeurs communes, notamment un attachement profond à la foi et à leurs racines.

Dans le prochain article, nous nous tournerons vers un autre membre de la famille, dont la renommée dépasse largement les frontières de Lyon et de Thurins.


mercredi 27 novembre 2024

W comme Wanderlust ou envie de découvrir le monde

Cette série d'articles du mois de novembre vous présente un personnage découvert lors de mes recherches universitaires, Jean Aimé MARNAS.

J'ai souhaité dédier un article à un aspect de sa vie qui, je pense, a contribué à sa réussite, et a façonné l'homme qu'il est devenu. Il s'agit des voyages.

J'ai donc découvert ce mot allemand, Wanderlust, qui signifie, selon Wikipedia : "l'envie (Lust) de flâner, de randonner (wandern), soit l'envie de voyager, de découvrir le monde." J'ai trouvé que ce mot convenait parfaitement aux aspects de la vie de Jean Aimé que j'ai découverts au cours de mes recherches.

Je vais donc vous dévoiler quels pays Jean Aimé a visités, et pour quelles raisons.

La Suisse et Mulhouse

Usine chimique à Uetikon am See, canton de Zurick, 1850


La première mention de voyage que j'ai découverte dans les archives, concerne un écrit de Jean Aimé dans son dossier de renseignements demandés par la Préfecture qui figure dans son dossier individuel de légionnaire aux Archives départementales du Rhône. Voici ce qu'il en dit.

"En 1848, à cette époque de trouble, mon patron, M. GUINON, dont je devins plus tard associé, mais qui a toujours été pour moi un père et un ami, m'envoya travailler en Suisse, autant pour me récompenser de quelques petits travaux que pour me soustraire à la politique dissolvante des Clubs"

Sa fille, Mélanie MARNAS, citée dans le n° 23 de Rive Gauche en décembre 1969, précise : "Dès qu'il fut en possession de tous les procédés de la maison et capable de les appliquer correctement, M. Guinon l'envoya à Bâle et à Mulhouse, pour s'y mettre au courant des procédés des Suisses.

Je me suis interrogée sur ces Clubs dont parle Jean Aimé. Il s'agit de clubs politiques, créés suite à la révolution de février 1848 et à la mise en place de la Deuxième République le 24 février 1848 qui met fin au règne du roi Louis-Philippe.

J'ai trouvé des réponses très pertinentes dans un article en ligne sur le portail Persée, article de la Revue d'histoire moderne et contemporaine Les débuts de la Révolution de 1848 à Lyon de Lévy-Schneider en 1911. Ces clubs lyonnais sont des regroupements d'ouvriers et de la classe populaire apparus après la Révolution de 1848. Cela me laisse penser que M. GUINON souhaite éloigner son apprenti teinturier des troubles politiques et de la classe ouvrière lyonnaise, et certainement de la politique en général. Et que le patron a une entière confiance en son apprenti qui connaît tous les secrets de fabrication de l'usine.

Depuis la moitié du 16e siècle, Bâle est réputée pour sa filière industrielle de la soie et devient un centre international de l'industrie du ruban de soie. Au 19e siècle, elle devient la première ville industrielle de Suisse. Quant à Mulhouse, il y a certainement rencontré Jean DOLFUS, patron de DMC.

La découverte de Paris

Mélanie MARNAS nous apprend qu'en 1849, il est délégué par la Chambre de commerce de Lyon à l'Exposition de Paris. Elle raconte que son père a trouvé très pittoresque le voyage en diligence jusqu'à la capitale. Il s'agit de l'Exposition des produits de l'industrie française, organisée de 1798 à 1849 à Paris "afin d'offrir un panorama des productions des diverses branches de l'industrie dans un but d'émulation." Cette Exposition est à l'origine de la première Exposition universelle de 1851. L'édition de 1849 se tient du 1er juin au 30 juillet sur les Champs-Elysées et accueille 4 532 exposants.

Exposition de l'industrie en 1849. Vue à vol d'oiseau de l'ensemble des bâtiments, J. Quartley graveur, JJ Champin dessinateur, musée Carnavalet, Histoire de Paris, QB 726

En plus d'obtenir sa première récompense (voir l'article V), il a noué des contacts professionnels très intéressants. Ainsi, en 1850, il voyage en Alsace, en Prusse rhénane, dans le Nord de la France, en Angleterre et en Ecosse pour y étudier les moyens divers de production de ces contrées.

Il participe à nouveau à l'Exposition universelle de 1855 de Paris où il va obtenir une médaille de 1ère classe.

En 1861, il découvre la Cour impériale de Paris lors d'un procès dont je vous ai parlé précédemment (T).

La découverte de Londres

En 1851, il est à nouveau délégué par la Chambre de commerce de Lyon à la première Exposition universelle qui a lieu à Londres, à Hyde Park, dans le Crystal Palace. Les délégués étaient dix, dont deux teinturiers. Le séjour à Londres était de trois semaines, pour les frais desquelles il leur était alloué six cent francs.

The front entrance of the Crystal Palace, Hyde Park, London that housed the Great Exhibition of 1851, Wikipedia

Jean Aimé MARNAS retourne en Angleterre en 1857, après l'invention de la couleur Pourpre française.  Il entreprend une tournée en Angleterre, racontée par sa fille Mélanie.  

"La maison GUINON, MARNAS et BONNET comptait des clients importants en Angleterre et partout où il présenta sa Pourpre française, il reçut le même accueil mêlé de défiance et d'un peu d'ironie. S'il y avait longtemps qu'on annonçait le violet solide, personne ne l'avait jamais vu. Les échantillons de M. Marnas étaient splendides, mais il fallait voir comment ils se comporteraient à la lumière et en présence d'un acide. Mon père tirait de son sac un petit flacon de vinaigre, il en versait quelques gouttes sur l'écheveau de soie qui ne bronchait pas. Le fabricant plaçait l'écheveau sous un rayon de soleil : l'écheveau n'y perdait ni son ton, ni son éclat. On renouvelait l'expérience sur des violets de tons différents : même résistance. Le patron appelait ses employés et tous ces bons Anglais n'en croyaient pas leurs yeux."

Il participe aussi à l'Exposition universelle de Londres en 1862, participation pour laquelle la maison GUINON, MARNAS et BONNET sera médaillée.

Album de l'Exposition universelle de Londres en 1862, L. Brisse, 1864, Gallica


Et aussi Vienne

La société reçoit un prix à l'Exposition universelle de Vienne en 1873.

Weltausstellung 1873 : Kaiserpavillon (Stereoskopie), Wiener Photographen Association, 1873, Wien museum, 173700/1

Et pourtant

Mélanie MARNAS évoque dans son récit, les désirs de voyage de son père lorsqu'il était encore étudiant à l'école la Martinière. 

En effet, lorsque M. GUINON vint présenter son offre d'emploi aux parents de Jean Aimé, celui-ci leur avoua qu'il avait d'autres projets. Il avait d'abord pensé être marin, puis finalement colon. Et ce sont les Etats-Unis qui l'attiraient. Il voulait découvrir Chicago. 

Cependant, la nécessité d'argent que ses parents n'avaient pas, et le fait d'être l'aîné d'une grande famille qui avait besoin de lui pour caser les plus jeunes, le font revenir sur ses rêves de voyage.

Finalement, grâce à son travail, il a pu découvrir l'Europe. Par contre, je n'ai pas trouvé trace d'un éventuel voyage aux Etats-Unis.


lundi 25 novembre 2024

V comme Vitrine d'innovation lyonnaise

Lors de mes recherches pour mon mémoire universitaire de généalogiste, j'ai eu la chance de découvrir un personnage qui a laissé beaucoup de traces dans les documents archivés à Lyon, et ailleurs.

Jean Aimé MARNAS, nous l'avons vu dans l'article précédent, a vécu une ascension fulgurante dans le monde très fermé des teinturiers lyonnais du XIXe siècle.

Fils de boulanger, et petit-fils de paysans et de marchands dans un petit village des Monts du Lyonnais, comment a-t-il pu progresser aussi vite ?

Il a passé 3 ans à l'école de la Martinière, et nous l'avons vu dans l'article "quotidien scolaire", ces années étaient très difficiles, de l'aveu même du directeur.

Il est entré ensuite au service de M. GUINON, industriel de renom, pour se former à la teinture des soies, et continuer ses recherches en chimie.

Les débuts prometteurs

Sa carrière d'inventeur commence très tôt, dès 1847. Mélanie MARNAS, sa fille, écrit qu'il a participé à l'application de " l'acide picrique* à la teinture des jaunes. En 1849, il appliquait le cachou aux couleurs brunes craquantes et inaugurait le décrustage de la soie de Tussah* par la soude caustique.

Exposition industrielle de 1849 aux Champs-Elysées, graveur anonyme, JJ Champin dessinateur,
éditeur anonyme, Musée Carnavalet

Suite à ces découvertes, il est choisi par la Chambre de Commerce de Lyon en 1849 pour représenter la teinture de la ville de Lyon à l'Exposition de Paris. Il a alors 21 ans. 

J'ai retrouvé l'extrait du rapport du jury central sur les produits exposés en 1849 à Paris. Il obtient sa première récompense, une médaille de bronze.

Extrait du rapport du jury central sur les produits de l'agriculture et de l'industrie exposés en 1849 à Paris, source gallica.bnf.fr / BnF

En 1851, la Chambre de Commerce le délègue à l'Exposition  universelle de Londres. Ils sont 10, dont 2 teinturiers, chargés d'étudier tous les produits exposés ayant un lien avec leur branche. Il s'agit de la première Exposition universelle mondiale.

Toujours d'après Mélanie, ces expositions ont permis à son père de croiser des personnes très compétentes, et d'élargir ses connaissances scientifiques en teinture, mais aussi dans le mouvement industriel en général.

Il participe, en 1855, à la première Exposition universelle en France à Paris, la seconde au monde. M. GUINON obtient la grande médaille d'honneur, Jean Aimé MARNAS obtient la médaille de 1ère classe.

Inauguration de l'exposition universelle de 1855 à Paris par Napoléon III dans le Palais de l'Industrie, lithographie colorée de Louis-Jules Arnout, Wikipedia

Les avancées techniques majeures

En 1857, il fait une découverte majeure, la pourpre française. Voici ce qu'en dit Mélanie MARNAS.

Jean Aimé MARNAS avait remarqué que " l'orseille* des Anglais avait beaucoup d'éclat. Il l'avait beaucoup considérée et s'était persuadé qu'il ne serait pas impossible d'en retirer la matière colorante. Il n'y arriva pas du premier coup, mais enfin en 1857, après beaucoup d'essais, il y arriva. Cette matière colorante donna le premier violet solide qui ait été à la portée de tout le monde.

Il faut savoir que le violet était une couleur à part. Seuls avaient pu le porter jusque là dans leurs vêtements, les rois et les gens puissamment riches. Les teinturiers l'obtenaient en broyant certains animalcules* qu'il fallait chercher très loin et dont le nombre était limité, de sorte qu'un mètre de tissu teint en violet solide revenait plus cher que son pesant d'or. Le violet courant, celui que pouvait acheter le public, durait, comme on disait, un déjeuner. Il suffisait pour le détruire et le rendre beige, d'un rayon de soleil ou d'une goutte d'acide. Produire un violet qui, sans être hors de prix, résistât à la lumière et aux acides était, depuis des siècles, l'objectif de tous les teinturiers. Le mérite de Jean Aimé MARNAS fut d'y être arrivé le premier.

La maison GUINON, MARNAS et BONNET appela ce violet du nom de pourpre française et l'apparition de cette pourpre, qui pouvait s'obtenir dans tous les tons et à toutes les gammes de violet fut un événement dans le monde de la soirie." 

Cette découverte a donné lieu à différents procès relatés dans l'article sur la lettre T.

Elle fut surtout la source de la fortune de Jean Aimé MARNAS. En effet, en 1861, il achète le château du village de Thurins, symbole d'une réussite exemplaire. Il a alors 33 ans.

Comme le dit Mélanie MARNAS "Les résultats au point de vue financier avaient été excellents. La pourpre française se vendait le prix qu'on voulait."

Un inventeur infatigable

La maison GUINON, MARNAS et BONNET a déposé toute une série de brevets que j'ai retrouvés sur le site des archives de l'INPI.

Brevet d'invention 36029 du 31/03/1858, Pourpre française, site archives.inpi.fr

Il s'ensuit, en 1859, un brevet pour améliorer les teintures des soies noires puis, en 1862, un brevet pour un colorant bleu et un rouge.

La maison GUINON, MARNAS et BONNET a été médaillée à toutes les expositions de Paris (1849, 1855, 1867), de Londres (1851 et 1862) et de Vienne (1873).

Exposition de Londres, liste des exposants récompensés, L'opinion nationale, 16/07/1862, page 2

Récompense ultime, Jean Aimé MARNAS est fait chevalier de la légion d'honneur en octobre 1878, décoré pour ses services rendus à l'industrie, lors de l'Exposition universelle de Paris de 1878, recevant la croix de M. GUINON.


La Gazette de France, 25/10/1878, pages 2 et 3

La société créée avec les MARNAS et BONNET pères et fils dépose encore quelques brevets en 1881 et 1882.

Une fois retiré des affaires de Lyon et installé à Thurins, il s'intéresse à l'agriculture. Il fonde un observatoire météorologique à Thurins.

Il s'intéresse particulièrement à la crise phylloxérique, cherchant un remède pour les vignes malades.

Je vous ai présenté le teinturier chimiste inventeur d'exception que fut Jean Aimé MARNAS.

Nous découvrirons dans le prochain article un autre aspect de sa vie.


* Acide picrique : composé chimique , très explosif

* Tussah : chenille originaire de Chine, élevée en semi captivité,  produisant un fil servant à tisser de la soie Tussah

* Orseille : lichen dont on extrait une substance colorante de couleur pourpre 

* Animalcules : organismes microscopiques



dimanche 24 novembre 2024

U comme Usines de Lyon

Maintenant que vous avez fait plus ample connaissance avec Jean Aimé MARNAS au fil des articles du Challenge AZ (depuis la lettre Q), je vais vous dévoiler une autre facette du personnage, Jean Aimé MARNAS, l' industriel lyonnais.

Cet homme a beaucoup contribué, par ses découvertes, à l'essor de l'emploi de matières colorantes artificielles dans la teinture des soies. Il a donc laissé des traces dans les archives lyonnaises, et notamment dans un article paru en décembre 1969 dans la revue Rive Gauche, publiée par la Société d'étude d'histoire de Lyon rive gauche du Rhône. L'article est basé en partie sur des écrits de Mélanie MARNAS, fille de Jean Aimé MARNAS.

Couverture de la revue Rive Gauche, document personnel

Nous avons vu que M. GUINON embauche le jeune Jean Aimé, tout juste sorti de l'école la Martinière, comme chimiste et apprenti teinturier en 1843. Il a alors 15 ans. Mélanie MARNAS décrit l'industriel comme un "homme d'une rare et frappante distinction, quoique sorti du peuple."

L'apprentissage

Voici le récit de Mélanie "M. Guinon ... vient en personne trouver mes grands-parents dans la boulangerie, et de son air toujours un peu solennel, en les fixant de son regard bleu, d'ordinaire impassible, mais qu'il savait rendre éloquent, leur proposa de prendre leur fils dans son atelier. Il s'en occuperait d'une manière spéciale et se croyait en mesure de lui faire rapidement une situation."

L'usine GUINON et CHABAUD a été fondée en 1831. M. CHABAUD vient de se retirer en 1843, laissant GUINON seul. L'usine se situe à l'angle de la rue de Condé et du cours Bourbon, aujourd'hui angle de la rue Bugeaud et du quai Général Sérail. A l'époque, le bâtiment était entouré de prés, où des moutons paissaient. Le bâtiment est identifié par un rond jaune sur la carte ci-dessous.

Extrait de la carte d'état major de 1834, site IGN

L'apprentissage durait 2 ans et il était très dur. L'entrée à l'atelier se faisait à 6 heures du matin. Les apprentis commencaient par laver les soies arrivées par le bateau de M. GUINON. Ensuite, ils s'initiaient à toutes les opérations pour colorer la soie. Une fois l'apprentissage terminé, M. GUINON à envoyé Jean Aimé parfaire ses connaissances à l'étranger, mais ce sera l'objet d'un prochain article.

Extrait du livre de J. TURGAN (1865) Les grandes usines de France, tome 4, livraison 73, Paris Michel Lévy frères, page 265

Pour ses expériences de chimie, M. GUINON lui avait assigné un coin de l'atelier. Nous verrons dans le prochain article où vont le mener ces expériences.

Jean Aimé contremaître

En 1854, lorsqu'il se marie, Jean Aimé est promu contremaître de l'usine GUINON. Il est aussi intéressé aux bénéfices de la société. Il a alors 26 ans. Cela change considérablement son train de vie.

En 1855, M. GUINON tombe gravement malade, et risque la paralysie. Il délègue une partie de son travail à Jean Aimé, et notamment la visite des fabricants de soie, pas toujours aimables.

J'ai trouvé un article très précieux sur l'usine GUINON, MARNAS et BONNET dans un livre numérisé sur Gallica de J. TURGAN, Les grandes usines de France, tome 4, livraison 73, Paris Michel Lévy, 1865.

Jean Aimé associé

On y apprend qu'en 1856, M. GUINON s'associe avec ses deux contremaîtres, Jean Aimé MARNAS et Jean François BONNET. Il s'agit du Jean François BONNET témoin au contrat de mariage et au mariage civil de Jean Aimé.

On peut lire dans le livre, page 258, que M. MARNAS "chimiste distingué, chargé déjà de recherches de laboratoire, a continué de s'en occuper et à beaucoup contribué aux progrès qui se sont successivement réalisés dans la maison".

J'ai trouvé beaucoup d'informations lors de mes recherches dans les archives du tribunal de commerce de Lyon, en série 6 Up des ADRML. J'y ai trouvé notamment l'acte sous seing privé de la création de cette nouvelle société. La société a pour objet la teinture des soies en couleur et en noir. Elle est contractée pour 5 ans. Les associés ont la signature sociale. Le siège est à Lyon, au 2 rue de Condé. Jean Aimé a 28 ans. M. BONNET a 10 ans de plus, et M. GUINON encore 10 ans de plus. 

Mélanie raconte que la première initiative de Jean Aimé en tant que patron " fut de proposer que la maison ne travaillât plus le dimanche. Il trouvait que ce serait plus humain pour les ouvriers et plus avantageux pour la maison, étant impossible que des hommes ne prenant jamais de repos, produissent du bon travail.

En 1857, le jeune associé achète pour 65 000 francs, en indivision avec son associé M. BONNET (2/3 pour lui, 1/3 pour son associé), un atelier de chaudronnerie composé d'une maison et de constructions situé au n° 28 rue Monsieur, qui jouxte la propriété de M. GUINON. Ils font construire une maison à deux étages à la place de l'atelier de chaudronnerie pour installer leur famille.

Extrait de l'annuaire administratif et commercial de Lyon et du département du Rhône, volume 132, page 151, 1858, AM Lyon (on y trouve le père boulanger et le fils teinturier)

A la même époque, les associés ouvrent à l'Ile des Comtes, sur les bords du Rhône, une fabrique de produits chimiques située hors de la ville servant à la préparation des matières nécessaires à leurs inventions à l'abri des regards indiscrets.

En 1861, un immense incendie éclate dans cette usine qui au bout de quelques heures, est complètement consumée. On lit dans la presse que les pertes s'élèveraient à 300 000 francs, mais couvertes par des assurances.

Journal des débats politiques et littéraires, 19/08/1861 

De 1861 à 1876, les bonnes et mauvaises périodes s'enchaînent. Lorsque des grèves ne viennent pas compromettre le marché du travail, la société occupe de 500 à 650 personnes, et teint de 300 à 400 000 kilos de soie par an. Elle travaille pour la France, Alger, Bruxelles, Londres, Zurich, Vienne, Côme, Moscou ...

Jean Aimé MARNAS achète en 1872 plusieurs parcelles de terrain quai des Brotteaux. Il achète aussi en 1878 une propriété sur la commune de Villeurbanne, aux Charpennes. 

M. GUINON se retire de la société en 1881, et une nouvelle société est créée au capital de 1 000 000 francs : MARNAS, BONNET et fils. Il s'agit des fils de chacun d'eux.

Les associés décident, à cette époque, de déménager l'usine des Brotteaux pour l'installer à Villeurbanne, certainement sur la propriété achetée en 1878. 

En 1884, son fils Francisque décide d'entrer dans les ordres, et la même année, Jean Aimé perd l'un de ses fils, Jean Aimé François Antoine Marie. C'est aussi l'année du décès de M. GUINON. En 1885, son associé M. BONNET et lui-même apportent leur fonds de teinturerie à une nouvelle société. Il se retire de la gérance, mais prévoie une possibilité d'association pour son autre fils Charles Jean Antoine. Cette société en nom collectif est créée avec un autre fonds de teinturerie, celui de RAMEL, SAVIGNY et GIRAUD. Il loue à cette nouvelle société, BONNET, RAMEL, SAVIGNY, GIRAUD et Cie, son immeuble industriel de Villeurbanne.

Annexe au bail de l'immeuble de Villeurbanne, minutes de 1885, Me LAVIROTTE, 3E 28779, AD 69 

Cette usine existera jusqu'en 1900 à Villeurbanne.

Voici l'histoire de Jean Aimé MARNAS, jeune apprenti teinturier en 1843, qui deviendra l'un des teinturiers les plus talentueux de Lyon, et propriétaire d'une très grosse usine rive gauche du Rhône.


samedi 23 novembre 2024

T comme Teinturiers concurrents

Jean Aimé MARNAS était un teinturier renommé. Nous verrons dans les prochains articles que sa renommée dépassait les frontières de la France.

Aujourd'hui, je vous parle d'un autre aspect de ce métier. Au XIXe s., la quête d'une couleur parfaite pour la soie pouvait mener jusqu'aux tribunaux. Jean Aimé, génie de la chimie et de la teinture, en fit l'expérience à plusieurs reprises. Voyez plutôt ce qu'en dit la presse à l'époque.

Le procès de MEISSONNIER

M. MESSONNIER, fabricant de produits chimiques à Paris, affirme que plusieurs teinturiers de Lyon ont employé le procédé du brevet qu'il exploite, sans avoir le droit de l'exploiter. Jean Aimé MARNAS et ses associés figurent au banc des accusés.

18/01/1861 - Mémorial de la Loire et la Haute-Loire - p.3/4

M. MEISSONNIER gagne ce procès, selon le jugement rendu par le tribunal correctionnel de la Seine du 5 mars 1862.

L'appel

Ses associés et lui font appel auprès de la Cour impériale de Paris contre le jugement rendu à Paris et gagnent cette fois-ci. L'arrêt est rendu le 21 juin 1862. Il explique tous les arguments techniques avancés par les parties et vérifiés par d'éminents experts. Je vous ai fait grace de ces arguments, mais vous pouvez les retrouver dans l'article en question.


Extrait du jugement de la Cour impériale - La Patrie, 27/02/1862, page 3

Le procès contre MEISSONNIER

A la même époque, la maison GUINON, MARNAS et BONNET intente un procès auprès du tribunal civil de Lyon en 1861 contre MEISSONNIER pour contrefaçon de leur procédé, procès gagné. MEISSONNIER fait lui aussi appel de cette décision. Il perd son appel en 1864.


Extrait du jugement de la Cour impériale de Lyon, la Presse, 12/02/1864, page 3 


Voici un exemple des procès qui se sont tenus entre teinturiers de Paris et de Lyon. Il faut dire que ces brevets et inventions ont été à l'origine de fortunes. Les enjeux financiers étaient énormes. Ces découvertes de la société GUINON, MARNAS et BONNET ont notamment fait la fortune de Jean Aimé.

Mais ces procès, emblématiques d'une activité industrielle en pleine mutation, la teinture des soies, ne sont qu'une partie de l'histoire de Jean Aimé. Son travail acharné et sa vision novatrice feront de lui une figure incontournable de la teinture en France ... et au-delà.

jeudi 21 novembre 2024

S comme Ses attaches à Thurins

Pour comprendre le titre de ce nouvel article du Challenge AZ, il faut avoir lu les précédents, idéalement depuis la lettre A du 1er novembre 2024, ou au moins depuis la lettre Q du 20 novembre.

Je vous parle ici du personnage central de cette saga généalogique, à savoir Jean Aimé MARNAS.

Né à Lyon en 1828, fils de boulangers originaires de Thurins, petit village du Lyonnais, il devient chimiste et teinturier après de brillantes études à l'école de la Martinière à Lyon.

La lettre S me permet d'aborder un point important pour expliquer mes recherches. Il s'agit des attaches que Jean Aimé a développées vers la fin de sa vie avec le village natal de ses parents.

Carte postale de Thurins, vue sur la ferme du château - archive privée 

En effet, lorsque j'ai cherché un couple marié à Thurins dans les années 1820-1830, je me suis intéressée au patronyme MARNAS pour la bonne raison qu'à Thurins, aux XIXe s., certains étaient agriculteurs, et d'autres propriétaires du château sur la place du village.

Je me suis demandée si tous ces MARNAS étaient de la même famille, et comment l'un d'entre eux avait pu gagner assez d'argent pour acheter le château aux descendants de l'illustre famille DUGAS de Thurins.

Après une enquête longue et minutieuse, j'ai découvert que le premier MARNAS propriétaire du château était Jean Aimé, fils de simples boulangers lyonnais, et descendant de paysans et de marchands, comme nous l'avons vu dans les articles précédents.

Comment s'est-il enrichi suffisamment pour cet achat ? Nous le verrons en détail par la suite. Mais je vais d'abord vous détailler ses liens avec le village de Thurins.

Une maison à la Martinière

Il commence par acheter en 1859, au prix de 8 950 francs, un pied-à-terre à Thurins. Il s'agit d'une maison et de hangars, d'un terrain servant de terrasse, et d'une petite vigne, le tout situé au hameau de la Martinière. 

Je n'ai pas réussi à identifier clairement les parcelles concernées dans les matrices cadastrales.

C'est certainement dans cette maison que ses parents se sont retirés vers 1872, et là où ils habitaient lorsqu'ils sont décédés.

Le château DUGAS

En 1861, il achète à Mme DUGAS, veuve DONIN de ROSIERE, une propriété composée de château, terrasse, salle d'ombrage, jardin d'agrément, serre avec arbustes et plantes, bâtiments d'habitation et d'exploitation, cours, vastes dépendances, jardins potagers clos de murs, terres, vergers, prés, pièce d'eau, glacière, vignes et bois, le tout formant un seul tènement d'une contenance totale d'environ 13 hectares 20 ares.

La vente comprend les cuves, pressoir, instruments d'agriculture, cheptel, crèches, foins, pailles et engrais de l'année, tous les immeubles par destination.

Il en a la propriété le jour de la vente, mais il n'en aura la jouissance que 4 mois après le décès de Mme de ROSIERE.

Le prix est de 100 000 francs, payables de 6 mois en 6 mois.

Mme de ROSIERE est décédée à Thurins 7 mois après l'achat. Jean Aimé récupère la jouissance du château le 4 octobre 1861.

 

Le château de Thurins vu d'avion en 1959 - archive privée

Il achète ensuite en 1861 une maison située dans le bourg, à côté du château, puis une parcelle de vigne à la Perrière en 1878.

Maire de la commune

Il est nommé maire de Thurins le 28 mars 1862 par le préfet du Rhône, âgé de 34 ans. En effet, sous le Second Empire, selon la Constitution de 1852, l'article 57 indique que les maires seront nommés par le pouvoir exécutif, et pourront être pris hors du conseil municipal.

Délibérations de Thurins, 1847-1864, vue 119, EDEPOT249/31 - AD 69

Il démissionne en 1870.

Il se retire complètement à Thurins en 1899. En 1904, il y fête ses noces d'or avec sa femme.

Il y décède le 7 septembre 1908, 8 jours après son épouse.

Les liens de Jean Aimé sont nombreux avec le village de Thurins. Il est toujours resté très attaché à ses racines et grâce à sa réussite professionnelle, il a pu acheter la plus belle résidence du village, le château.






mercredi 20 novembre 2024

R comme les Résidences de Jean Aimé à Lyon

Jean Aimé MARNAS, comme nous l'avons vu dans l'article précédent, en sortant de l'école la Martinière, est placé chimiste et apprenti teinturier chez monsieur GUINON.

Le mariage avec Marie REVELIN

Il épouse Marie dite Mariette REVELIN à Saint-Symphorien-d'Ozon le 28 mai 1854. Il a 29 ans. Il est teinturier contremaître, et demeure à Lyon au n° 2 du cours Lafayette.

Eglise Saint-Symphorien-d'Ozon, 2012, auteur Dominique Robert - Wikipedia 

Sa mère est absente, mais consent au mariage.

Son épouse est fille de charpentier.

Les témoins au mariage sont Jean CHIRAT, Jean François BONNET et François CHATAGNON, tous les trois lyonnais et teinturiers, certainement des collègues de Jean Aimé.

Mélanie MARNAS, leur fille, écrira plus tard de ses parents : "Il (son père) avait connu ma mère à l'atelier où elle faisait aux soies, avec un groupe d'autres femmes, l'opération qu'on appelait les "mettre en mains". Elle n'était riche que de sa modestie, de sa piété, de sa belle santé. Le mariage fut béni à Saint-Symphorien-d'Ozon par M. le curé Mol, le dimanche 28 mai 1854. On avait choisi un dimanche pour ne pas perdre de temps. Il ne manqua pas pourtant d'une certaine solennité : non seulement les Marnas y étaient nombreux, mais tous les contremaîtres y assistaient.

Un contrat de mariage a été signé devant Me BOURGEOIS le 2 mai 1854 à Lyon. L'épouse apporte en dot son trousseau évalué 1 500 francs. Elle apporte peu au mariage, comme le dit d'une manière très touchante sa fille Mélanie.

Les différentes résidences de Jean Aimé

D'après leur fille, l'usine GUINON se situe à l'angle du cours Bourbon et de la rue de Condé, dans un nouveau quartier du XIXe siècle appelé Les Brotteaux, aux bords du Rhône et au nord de la commune de la Guillotière, qui, en 1852, est rattachée à la ville de Lyon et forme le 3e arrondissement.

Jean Aimé a toujours habité ce quartier pendant sa vie professionnelle. J'ai retrouvé dans les actes 5 adresses de domicile. Le cours Bourbon a changé plusieurs fois de nom : un fragment est devenu le quai Castellane en 1855, le quai des Brotteaux en 1877 puis enfin le quai Général-Sérail en 1929. 


Panorama de la ville de Lyon: le quai Castellane, la passerelle du Collège, le pont Lafayette, 1869, Jean François ARMBRUSTER Archives municipales de Lyon



Voici ces différentes adresses localisées sur une carte de Lyon.

Les appartements sont localisés le long de l'actuel quai Général-Sérail, et de la rue Molière.

Domiciles Lyonnais de Jean Aimé MARNAS entre 1854 et 1878 - uMap

Jean Aimé à passé une grande partie de sa vie dans ce quartier des Brotteaux, tout nouveau à cette époque.


Q comme Quotidien scolaire

Nous avons pu voir lors de cette étude que les ascendants de Jean MARNAS et Marie Charlotte PERRET sont des cultivateurs, laboureurs ou marchands, propriétaires de leurs terres ou de leur maison pour la plupart, excepté pour notre couple qui n'est pas propriétaire des murs de la boulangerie où ils travaillent.

Ils ont créé une famille composée de 10 enfants, et lors de mes recherches, la destinée de l'un d'entre eux s'est détachée particulièrement.

Il s'agit de l'aîné du couple, Jean Aimé MARNAS.

A partir de maintenant, Jean Aimé devient le personnage principal de mes articles. 

Pour retracer sa vie, j'ai eu la chance de découvrir un article à son sujet dans la revue Rive Gauche, disponible dans la bibliothèque des archives municipales de Lyon. J'ai retrouvé aussi sa biographie écrite par M. GODINOT dans une publication de la Société d'agriculture dont il a été membre. Pour finir, j'ai retrouvé son dossier individuel de légionnaire dans des documents de la Préfecture du Rhône.

Le Jardin des Plantes - photographie BASSET/SEM - 38PH/191 - AM Lyon


L'enfance de Jean Aimé

Il est né le 20 juillet 1828 à Lyon, rue des Fargues, dans la boulangerie de ses parents (ici). Son père le déclare avec les prénoms Jean Aimé, prénoms qu'il utilisera toute sa vie.

Bien que né à Lyon, il gardera des liens étroits avec le village de Thurins. En effet, dans sa notice biographique, GODINOT écrit " qu'à l'âge de 8 ans, il a sauvé son grand-père paternel vieux et infirme, tombé dans l'âtre d'une grande cheminée.

Il grandit dans le quartier du jardin des plantes avec ses nombreux frères et soeurs.

Voici ce que raconte l'article de Rive Gauche au sujet de son enfance : "Après avoir fréquenté l'école primaire de son quartier, il est entré, à douze ans, à l'Ecole de la Martinière, fondée par le legs du major Martin sept ans auparavant. Dès la 2e année, il se spécialisait en chimie et décrochait dès lors ses premiers lauriers."

L'école de la Martinière

J'ai souhaité en savoir plus sur cette prestigieuse école.

Portrait of Major-General Claude Martin (1735-1800) (by Johann Zoffany) Wikipedia

Voici les informations que j'ai trouvées dans l'inventaire des archives départementales du Rhône, dans les sous-séries 1T et 523W.

"En 1800, Claude Martin (1735-1800), major-général de la Compagnie des Indes, meurt à Lyon en léguant sa fortune à la ville de Lyon, à la charge d'établir une institution pour le bien public. Ainsi, après bien des résistances, l'Ecole populaire ouvre en 1826 au Palais Saint-Pierre. On peut y suivre des cours de mathématiques et de chimie et, à partir de 1929, des cours de dessin. En 1831, l'ordonnance royale règle l'organisation administrative de l'établissement. L'article premier stipule que le legs du major-général Martin sera employé à la fondation "d'une école destinée à l'enseignement gratuit des Sciences et des Arts, dont la connaissance et le perfectionnement peuvent ajouter à la prospérité des Manufactures et des Fabriques Lyonnaises." L'article 2 donne à l'école le nom d'école de la Martinière et en prévoit l'établissement dans les bâtiments de l'ancien cloître des Augustins. Ces nouveaux bâtiments sont inaugurés le 2 décembre 1833. Tout au long de ce XIXe siècle, administrateurs et directeurs perfectionnent les conditions de fonctionnement et les formes pédagogiques de l'établissement. De nouveaux cours sont régulièrement ouverts."

Jean Aimé MARNAS intègre l'école à 12 ans, soit en 1840 environ, 7 ans après l'inauguration des nouveaux bâtiments.

Cour de l'école la Martinière - Ville de Lyon, Archives municipales, Jean Paul Tabey, 80PH/39/66


L'enseignement de la Martinière

Voici ce qu'écrit T. LANG, l'un des directeurs de l'école, en 1883 dans un livre intitulé Notice sur l'école la Martinière, pages 35 et 36 : " l'Administration de la Martinière est partie de ce principe que l'enseignement donné à l'Ecole doit avoir pour but, non de préparer les élèves à l'exercice spécial de telle ou telle profession, mais de les rendre aptes à réussir dans une profession quelconque, avec les avantages que donnent une intelligence ouverte, l'habitude du raisonnement scientifique, une instruction relativement large, et surtout cet énorme entraînement au travail, qui est la caractéristique dominante des élèves de la Martinière."

Jean Aimé a certainement travaillé très dur. Jugez vous même :"Les élèves viennent à 7 heures 3/4 en hiver, et à 7 heures 1/4 en été, jusqu'à 11 heures 50, et reviennent l'après-midi de 2 heures 10 à 7 heures, excepté le jeudi, où les cours n'ont lieu que le matin." A raison de 3 cours le matin, et 3 cours l'après-midi, suivis d'une étude surveillée, cela fait 33 cours et 5 études, samedi compris, en 1ère année. "Les élèves de 2e et 3e années ont 3 cours supplémentaires ... Si l'on ajoute à cela les devoirs que les élèves ont à faire chez eux, devoirs qui exigent presque toujours plusieurs heures par soirée, on verra que ces élèves ont une somme de travail extrêmement considérable. Il est à craindre que cette somme de travail ne soit préjudiciable à leur santé

M. TABAREAU, professeur de mathématiques, a mis au point une méthode en mathématique. Cette méthode est expliquée dans le livre écrit par T. LANG. Ce livre est numérisé sur le site de l'histoire de l'Ecole Centrale de Lyon. Vous pouvez vous y référer, page 39 et 40, pour en connaître les détails. Elle est basée sur l'utilisation de planchettes en bois et d'ardoises. M. TABAREAU, après avoir développé la méthode pour les mathématiques, l'a introduite en cours de chimie. M. DUPASQUIER s'en inspira pour son enseignement.

Ces méthodes innovantes d'enseignement perdurent puisque j'ai trouvé en ligne de nombreux articles expliquant le procédé La Martinière, ou PLM, utilisant l'ardoise en calcul mental.

Détail du monument aux fondateurs de la Martinière, de Charles Textor, Ville de Lyon, Archives municipales, Jean-Paul Tabey, 80PH/30/42

Voici ce que j'ai lu dans l'article de Rive Gauche, article qui reprend les écrits de Mélanie MARNAS, l'une des filles de Jean Aimé.

Le professeur DUPASQUIER

 "Il (M. DUPASQUIER) faisait son cours, en se promenant dans sa classe, une main dans la poche de derrière de sa redingote. L'enseignement mutuel était alors en grande faveur. Marnas, comme premier de sa classe, était répétiteur, c'est-à-dire qu'il devait bien écouter ce que disait le professeur et le répéter ensuite à ses camarades. Il était aussi préparateur en chimie, c'est-à-dire qu'il aidait le père Dupasquier à préparer ses expériences. Ce poste, d'une certaine manière, ne lui plaisait guère, parce qu'il détestait tout ce qui était  manipulation et salissait les doigts ; de l'autre, il l'enchantait parce qu'il le mettait en rapports plus étroits avec M. Dupasquier. Très timide et dès lors très peu liant, ni jouant ni causant avec ses condisciples, il réservait toute son affection pour son vieux professeur, qui, je crois, le lui rendait."

"La vie à la maison était des plus simples et ne pouvait être autre. Une fois par an, on allait en famille dîner sur l'herbe, dans le domaine de la Tête d'Or, c'est tout ce que le père estimait pouvoir se permettre comme distraction. Marnas était frappé de la peine qu'avaient ses parents à élever leur nombreuse famille, et à mesure qu'il grandissait, il cherchait en lui-même comment s'y prendre pour leur venir en aide. C'était un bruit général que les sciences et notamment la chimie allaient révolutionner les anciennes industries. Pourtant, le jeune rêveur n'avait pas l'impression que la chimie lui servirait beaucoup dans la vie. Il l'apprenait aussi pour faire plaisir à M. Dupasquier, mais il n'y trouvait qu'un intérêt médiocre. Il n'en obtint pas moins, en 1842 et 1843, les deux médailles d'argent qui représentaient à la Martinière le premier prix de chimie."

Détail du monument aux fondateurs de la Martinière, de Charles Textor, Ville de Lyon, Archives municipales, Jean-Paul Tabey, 80PH/30/39


L'article de rive Gauche nous révèle la suite de cette histoire. M. Nicolas Philibert GUINON, fondateur avec M. CHABAUD d'une usine de teinture en flotte, avait assisté aux examens et repéré le jeune MARNAS. Mélanie rapporte ses propos à M. DUPASQUIER : "Ayez l'oeil sur ce jeune Marnas et ne le laissez pas se placer sans que je le sache. Je veux un chimiste dans mon atelier et j'ai décidé que ce serait lui."

En 1843, à sa sortie de l'école la Martinière, Jean Aimé est placé par son professeur de chimie chez M. GUINON, où il cumule les fonctions de chimiste et d'apprenti teinturier. Il est alors âgé de 15 ans.

Son apprentissage dure plusieurs années pendant lesquelles il s'initie à toutes les opérations par lesquelles doit passer la soie avant d'être envoyée aux fabricants.

Il a 20 ans en 1848. Sa fille explique qu'il a tiré le n° 23 qui l'obligeait à partir pour le service militaire. M. GUINON lui avance l'argent du remplaçant. J'ai pu vérifier dans la liste de tirage de la ville de Lyon de 1848, qu'il avait bien tiré le n°23.

Voici donc quelques mots sur la scolarité de Jean Aimé. Quelle joie de trouver des sources qui décrivent d'aussi près la vie d'une personne étudiée ! Nous allons par la suite découvrir quelle vie trépidante il a vécue.